Jardiner c’est accompagner le temps, c’est ne pas s’y heurter
L’arrivée du printemps voit fleurir son lot d’apprentis jardiniers. En plein confinement, prendre soin de son potager pourrait s’avérer salvateur pour bon nombre d’anxieux. Le jardinier et poète Gilles Clément vous ouvre les portes de son jardin.
Un article de Guillaume Keppenne (www.rtbf.be)
Il a 6 ans lorsqu’il met pour la première fois les mains dans la terre. Déjà, il aspire à » discuter » avec les insectes dont le comportement mystérieux l’intrigue. Il découvre les écosystèmes, bien que le terme lui échappe à l’époque, et les liens qui unissent le vivant. Ces insectes font partie d’un large ensemble où toute chose a sa place, même les mauvaises herbes. » Les mauvaises herbes n’existent pas ! Petit, je les enlevais dans le jardin de mes parents. Je me suis vite rendu compte que ça ne servait à rien parce qu’elles revenaient tout le temps. Et puis il y a des animaux qui s’en servent, alors pourquoi seraient-elles mauvaises ? »
Jardiner c’est accompagner le temps, c’est ne pas s’y heurter
Jardiner et penser à demain
Pour le poète septuagénaire » Quand on jardine on est dans ce que j’appelle un territoire mental d’espérances. C’est un espace-temps particulier parce qu’on est sans arrêt sur le futur. Quand on plante une graine c’est pour demain. » Le jardinier ne serait donc pas un nostalgique. Il serait plutôt affublé d’un projet riche en surprises et soumis aux imprévus. Jardiner modifie notre rapport au temps, on se trouve au plus proche des saisons qui rythment la vie de la nature. » On est là, dans une vision ou rien n’est programmé, on change s’il faut changer. Jardiner c’est accompagner le temps, c’est ne pas s’y heurter. »
Le jardin qui soigne
Les vertus thérapeutiques du jardinage sont connues, cependant elles sont encore mal comprises. » On ne sait pas très bien pourquoi ça fonctionne comme ça. Au jardin on se trouve dans un équilibre, hors du stress, à la fois heureux et surpris d’accomplir une activité utile. Cela nous apprend une forme d’humilité et la nécessité de rentrer en dialogue avec la nature. » Même si l’on ne s’en rend pas compte tout de suite, le jardin soigne. Comme à l’hôpital Salvator de Marseille pour lequel Gilles Clément a fait des propositions d’aménagements pour les jeunes en psychiatrie. L’institution s’est penchée sur les bienfaits du jardinage sur les adolescents. » Les soignants y étaient unanimes, il fallait agrandir le jardin potager, parce que c’est là que les jeunes se rendaient directement pour travailler. »
De l’étonnement
Un conseil de Gilles Clément pour se lancer dans le jardinage c’est commencer par ne rien faire. » Si vous ne faites rien vous êtes utiles à tous. Votre friche ou votre prairie deviendra une forêt qui produira l’oxygène dont on a tous besoin. » Prenez le temps, nous dit-il, restez attentifs au comportement des animaux, au rythme de croissance des végétaux et aux rapports que ces organismes entretiennent. » Parce que même si l’on a des bases de compréhensions des sciences de la nature, il y a un tas de choses que l’on ne nous a pas enseignées « .
Dans le jardin, » on est toujours étonné ! » pour le meilleur comme pour le pire. Témoin malheureux de l’extinction massive de certaines espèces, il ne cache pas son inquiétude face au silence qui fait place à la disparition des oiseaux. » Le silence c’est ce qu’il y a de pire. Il y a des moments que je n’aime pas du tout, comme le mois d’août ou le cœur de l’hiver. Août c’est un moment où on devrait profiter de quelque chose de vivant, et tout à coup tout s’arrête, il n’y a plus de bruit. »
Si vous mettez quelqu’un du ministère de l’environnement dans l’environnement, il meurt en trois jours
L’éveil des consciences
Le jardinier poète s’oppose fermement à l’utilisation de toute forme de chimie au jardin. Que ce soit à petite ou grande échelle » il faut supprimer tout ce qui tue « . Il rappelle que la première cause de la destruction de l’écosystème c’est la chimie, particulièrement présente dans le monde agricole. » On croit qu’en utilisant un désherbant on supprime les deux trois espèces qui nous gênent. Mais pas du tout. On supprime toute sorte d’espèces qui sont autours, on contamine les insectes qui provoqueront un manque de nourriture pour d’autres animaux et ainsi de suite… »
La jeunesse qui se bat actuellement pour le climat suscite son admiration. » À leur prise de conscience il faudrait associer un enseignement pour leur permettre de renforcer leurs arguments. C’est dommage que l’enseignement du vivant ait été abandonné dans les écoles. Mais il n’y a pas qu’eux, cette perte de savoir est globale. Si vous mettez quelqu’un du ministère de l’environnement dans l’environnement, il meurt en trois jours. »
Les mains dans le vivant, Gilles Clément s’intéresse au sens du verbe vivre. Et il observe… » Il n’y a pas un battement de cœur uniforme pour l’ensemble de l’humanité, nous avons tous une composition différente. Le rythme a énormément d’importance. Il y a des gens lents, pourquoi à un enfant qui est petit on dirait t’es pas capable, t’es pas compétent, t’es pas bon ? Ça c’est la vision darwinienne sur laquelle nous sommes aujourd’hui par le modèle économique. Et puis hop tu vas à la poubelle ! Mais non ! » Pour Gilles Clément, il faut refuser d’être mis à la marge de la société comme on se débarrasserait des mauvaises herbes du jardin. Face à une société toujours plus uniformisante, jardiner c’est désobéir.
Jardinier, paysagiste, botaniste et poète, Gilles Clément était l’invité de Pascal Claude sur La Première le samedi 28 mars 2020.